Avant toute chose, rendre hommage aux personnels soignants et autres héros du quotidien qui apportent leur contribution au péril de leur vie dans cette guerre invisible.

Étrange moment où des milliards de personnes dans le monde se voient contraintes à vivre confinées pour se protéger et préserver les autres. Nous voilà forcés à l’isolement, à prendre la mesure de l’importance des liens si nombreux avec nos amis, nos collègues, nos familles….

Étrange arrêt sur image, ralentissement de notre course effrénée contre le temps que nous vivions jusque-là sans trop nous questionner. Étrange sentiment de vivre quelque chose d’exceptionnel à la fois grave et bouleversant, nous humains, si puissants, qui n’avions rien vu venir.

Mais aussi formidable occasion de retour à soi, de découverte de nous-mêmes et de ce qui fait notre humanité. Pourquoi?

Parce que cette expérience intime du confinement nous amène à interroger quatre types de rapports.

Notre rapport au temps

Ce qui survient assez rapidement, c’est une rupture dans le temps, dans le temps jusqu’ici bien réglé de nos vies. Une fois passée la panique de penser une nouvelle organisation familiale et professionnelle, gestion des plannings, continuité de service… force est de constater que notre temporalité prend une autre dimension au fil des journées passées en confinement. Pour les héros du quotidien, le temps s’accélère implacable, dans une course contre la montre pour certains. Ceux qui travaillent encore un peu, et d’autres plus du tout, ce temps s’est étiré et s’étire encore. Nos repères sont perdus…. alors nous en recréons d’autres pour occuper ce temps, rythmer nos journées en se consacrant à des activités jusque-là mises en suspens, longtemps différées. Oh surprise! le temps est suspendu… au fil d’une toile d’araignée que l’on se met à observer avec l’attention d’un enfant, et le présent joue le premier rôle. Il attend d’être cueilli, savouré, partagé. Avec ce ralentissement, surgissent des moments de contemplation, de réelle présence à l’instant, nos sens sont en éveil dans la bouleversante splendeur d’un printemps indifférent.

Notre rapport au travail

En ralentissant, le temps cède de la place à la prise de recul, à la réflexion qui s’immisce dans les anfractuosités de notre conscience, par bribes… certains mesurent la précarité de leur situation professionnelle, d’autres perçoivent avec plus d’acuité le stress qui était pourtant là. Pendant le confinement, un relâchement des tensions dans le corps, un allègement de la charge mentale..une redistribution de nos priorités du jour, de la semaine, de notre retour au travail que nous aborderons différemment, sans doute. Notre utilité dans la société, avec sa cohorte de représentations, masques, rôles à jouer est aussi fortement questionnée. D’une utilité monnayable certains expérimentent aujourd’hui avec plus de force l’utilité offerte, à travers des gestes altruistes, des services rendus à l’autre, famille, voisins, inconnus. Le tri devient alors possible entre ce qui a du sens et ce qui en a moins, notre boussole pourra, qui sait, pour ceux qui auront la chance de ce retour au travail, nous orienter différemment en termes de tâches et de relations avec ses collègues. Nous le savons déjà, y aura un avant et un après.

Notre rapport aux autres

Ce temps de confinement nous coupe physiquement de la relation à l’autre, qui occupe soudain une place particulière. Ce que nous, êtres fondamentalement sociaux prenions pour acquis, facile, allant de soi, à savoir nos multiples appartenances sociales, vient à nous manquer. Notre besoin de liens, de contacts, de se toucher se fait criant. Que dire du sentiment d’isolement des personnes confinées seules, jeunes et moins jeunes qui vivent une réelle détresse. Le virtuel, quand il est possible, viendra atténuer un peu ce manque sans le combler totalement. Si notre besoin d’indépendance est farouchement ancré en nous, nous ne pouvons nous départir complètement de notre besoin de sociabilité.

Notre rapport à soi

Cet isolement des autres peut dans le même temps rendre pesante la cohabitation sous un même toit. Parfois la mise en retrait si nécessaire pour notre bien-être psychologique est difficile voire impossible, et la coupe est pleine, tous les ingrédients sont réunis pour que le vase déborde… stress, frictions, disputes, conflits douloureux, mots ou gestes de trop. D’où l’impérieuse nécessité de se mettre en retrait pour souffler, respirer, décompresser. Avoir un moment à soi, pour soi, et pouvoir ainsi écouter de la musique, jardiner, méditer, pourquoi pas, écrire des haïkus…. sont aussi nécessaires à notre psychisme que l’oxygène à nos cellules.

Nous sommes confrontés à nous-mêmes, à un miroir qui nous renvoie à nos craintes les plus profondes, à nos besoins essentiels qu’ils soient physiologiques et psychologiques, à nos capacités à surmonter notre stress, à ne pas le communiquer à ceux que l’on aime ou que l’on encadre, à notre capacité à être nous-mêmes un soutien, un réconfort pour les autres.

Cette épreuve que nous traversons tous est celle de la gestion de l’incertitude, de l’apprentissage du présent, de la découverte de soi et de nos besoins essentiels, de la force des liens qui nous unissent.

Puissions-nous en ressortir grandis, individuellement et collectivement.